vendredi 13 octobre 2017

Penser





"...J'ai toujours su que la philosophie m'était étrangère. Une langue qui m'ignorait, et je le lui rendais bien. Une langue fictive, une sorte d’espéranto de la sophistication, cadenassé. il a fallu un très long temps avant que je me mette à penser. À m'apercevoir que je pouvais penser. Que la pensée , son courant, me traversait comme tout un chacun. Je ne saurai dire à quel moment c'est arrivé mais je sais que c'est par lui, sans doute le plus étranger: un philosophe.

Il dit: "C'est peut-être cela que voulait dire Foucault: je n'étais pas le meilleur, mais le plus naïf, une sorte d'art brut, si l'on peut dire; pas le plus profond, mais le plus innocent. C'est cette "innocence" qui est contagieuse: l'écoutant on se sent ,on se croit, directement concerné par le travail, son travail de la pensée.

C'est sous le régime de la contagion qu'on lit, qu'on écoute, Gilles Deleuze. Comme un danseur vous met en mouvement. "La philosophie comme acte de la pensée", dit-il, de Foucault, de Nietzsche. Et le voyant, agir la pensée, on la sent s'émouvoir en soi.

Quand j'ai commencé à le lire, j'ai beaucoup souligné, recopié, cette voix lucide qui parlait si justement de l'écriture. "Écrire[...]c'est un processus, c'est à dire un passage de Vie qui traverse le vivable et le vécu" C'est, pense-t-il tout haut dans l'abécédaire, pousser le langage jusqu'à la limite, celle qui le sépare du silence, de la musique, du piaulement ou du cri de l'animal. Comme faire de la philosophie est tendre vers la limite qui sépare la pensée de la non-pensée.


C'est cela que m'a fait découvrir la lecture de Gilles Deleuze, ouvrant l'enceinte bien gardée de ce que je croyais la culture hors sol des idées philosophiques sous engrais discursif. À l'ouverture, j'ai vu que ne restaient dans le fort que les rédacteurs dissertatifs, et hors fort, dehors, à découvert, ceux qui prennent à chaque fois le risque de penser - il s'agit d'un danger, on peut basculer au-dehors du dehors, sans réintégration - comme si penser venait de naître."...

Extrait du livre de Christiane Veschambre Basse langue 


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